À l’opposé des discours catastrophistes sur la vulnérabilité du littoral, nous préférons regarder les solutions développées par les communautés vivant au plus près du rivage pour s’adapter à l’évolution du climat. C’est dans cet esprit que nous avons rencontré Grégory Gendre (GG), maire de la commune de Dolus sur l’Île d’Oléron.
L’évolution du littoral
JR ⎜Dolus d’Oléron dont vous êtes maire depuis 2014 est une des huit communes qui compose l’île d’Oléron. Située en son centre, le territoire communal bénéficie des deux façades maritimes caractéristiques : à l’Est les marais ostréicoles, à l’Ouest, la villégiature protégée par le cordon littoral et ses plages. La politique au sens noble du terme s’inscrit dans une épaisseur historique et culturelle forte. Avec cette perspective, comment appréhendez-vous la question de l’évolution climatique ?1
GG ⎜Notre équipe municipale est majoritairement composée de personnes ayant grandi sur l’île avec un attachement émotionnel très fort pour elle. Nous savons que cette côte n’est pas immobile puisque nous la voyons constamment évoluer. Adolescents, nous avions un blockhaus comme repère pour surfer sur la plage des Allassins au sud de l’île. Aujourd’hui, ce blockhaus n’existe plus et le banc de sable sur lequel se formaient les vagues s’est considérablement déplacé. Voilà une bonne introduction à la dynamique du littoral.
JR ⎜Quelle serait votre définition du littoral ?
GG ⎜Chacun possède sa propre définition du littoral. Il doit se comprendre sur une échelle de temps longue. Les fossiles de dinosaures trouvés au nord de l’île nous le rappellent. Le littoral est aussi tourné vers l’avenir et ne peut se satisfaire d’une réflexion limitée à l’échelle d’un mandat électif même si ce mode de penser est encore courant. Plus personnellement, le littoral est notre propre représentation, le rivage comme notre reflet dans un miroir dont les bords seraient sans limites. Il nous renvoie à nous-mêmes, à notre position dans l’univers et nous rappelle qu’on ne gagne jamais contre la mer.
Enfin le littoral est mobile par nature. Il y a les rythmes annuels et la fréquentation estivale. Pour les dotations de l’État, Dolus est l’équivalent d’une ville de 6 000 habitants à l’année mais nous sommes 3 300 l’hiver et plus de 10 000 l’été. Le littoral subit aussi des dynamiques humaines importantes. Il est important de comprendre que la zone urbanisée de la Rémigeasse - dont nous allons parler ensuite - était limitée dans les années 1950-1960 à son petit village. Or, quand on regarde la carte de la submersion élaborée suite à Xynthia (2010) dans le cadre du PPRN on remarque aisément que la zone la plus touchée est bien entendu la plus récemment urbanisée. Ce sont ces constructions récentes qui nous posent problème aujourd’hui car très concrètement c’était un non-sens absolu d’urbaniser ces zones dans les années 1970. Pour rappel, toutes les cartes anciennes de l’île montrent bien que le marais de la Perroche-la Rémigeasse a toujours été en eau. Cette expérience doit donc nous servir aujourd’hui pour que nos décisions n’obèrent pas la capacité des générations futures à pouvoir penser et gérer en autonomie les questions d’aménagement lorsqu’elles seront aux affaires.
L’engagement et la démocratie locale
JR ⎜Que veut dire être maire d’une commune insulaire ?
GG ⎜Notre action politique doit prendre en compte toute la diversité de la population. Or, il y a de plus en plus de gens qui veulent habiter sur l’île pour sa qualité de vie mais aussi pour y apporter leurs énergies et rendre à l’île ce qu’elle leur a donné. La part de la population née sur la commune ou même sur l’île devient minoritaire. Le discours des natifs de l’île sur les « baignassoutes » (contraction péjorative de « baigneurs à sous » employée localement par le passé) a quasiment disparu.
La manière de vivre des générations précédentes, en particulier des ostréiculteurs, n’est plus un modèle pour leurs enfants. Le temps où les parents trimaient du matin au soir est terminé. Les ostréiculteurs d’aujourd’hui ont envie de vivre autrement en diversifiant leur modèle économique avec des visites de site ou de la dégustation… Et cela implique d’apprendre à mieux accueillir l’autre et d’échanger avec lui.
JR ⎜Comment la commune a-t-elle vécu son passé récent et comment vit-elle aujourd’hui ?
GG ⎜Quarantenaire, je n’ai pas connu les Trente glorieuses. Or, la commune s’est beaucoup développée durant cette période et les propriétaires des résidences secondaires très présentes dans certains quartiers de la commune sont des sexagénaires qui ont connu la croissance et la « Nouvelle frontière » de Kennedy. Face au risque de submersion, le « recul stratégique » et la relocalisation urbaine leur paraissent absurdes. Je me rends compte qu’il faut faire preuve de beaucoup de psychologie lorsque je rencontre ces propriétaires pour les amener à envisager différemment l’avenir de leurs biens.
Leurs propres enfants possèdent souvent un attachement très fort à l’île sans toutefois y résider. Ils ne la fréquentent qu’en mode « tribu » l’été, lorsque toute la famille se réunit. L’économie locale est naturellement intéressée par cette fréquentation. Ces personnes viendront au marché de nuit et, comme nous avons développé les pistes cyclables, il y a de grandes chances qu’elles viennent à vélo ! Ils deviendront eux-mêmes prescripteurs de notre destination touristique pour la qualité de son environnement.
Ces résidents secondaires seront beaucoup sur une seule parcelle pendant un temps très court, alors que la maison sera parfois vide le reste de l’année. Au fil des discussions, ils comprennent qu’ils n’ont pas besoin de surfaces pérennes sur le long terme mais d’habitats temporaires adaptés à leur séjour. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de devenir un laboratoire architectural et urbain pour travailler sur la temporalité. Nous travaillons avec les services de l’État et autres partenaires à créer une architecture adaptée mobile et démontable en extension de l’existant pour l’accueil des familles en vacances, comme une boîte greffée temporaire, qui pourrait également offrir d’autres services, gestion de l’eau, recueil et distribution, production d’énergie, etc. Les entreprises du bâtiment feront peut-être moins de constructions neuves, mais tout autant de rénovations et, surtout, une nouvelle activité de montage et d’assemblage pourra voir le jour. Le principe de la saisonnalité estivale et sa dynamique démographique peut être une opportunité de renouvellement et d’assurer les objectifs d’optimisation spatiale, de préservation de la biodiversité et des espaces à vocation agricole. Il faut développer des solutions innovantes.
JR ⎜Comment s’organise de nos jours le dialogue entre les élus et leurs administrés ?
GG ⎜Les questions d’aménagement et de vivre ensemble fusionnent l’une dans l’autre. Nous essayons de créer des temps d’échanges pour que les gens se croisent et se parlent. Nous avons inventé le « Dolus vélo tour » : avant les conseils municipaux, les élus font le tour de la commune à vélo sur des thèmes variés comme la rénovation thermique, la transition agricole ou encore la mobilité du trait de côte. Les habitants s’y croisent et vont visiter ensemble un coin de la commune qu’ils ne connaissaient pas forcément.
Pour le quartier de la Remigeasse, les habitants se sont réunis en association. Les propriétaires comprennent bien qu’il sera impossible de mettre des murs partout si la mer monte. Ils se renseignent, font circuler l’information et questionnent les élus. Nous assistons aux assemblées générales pour envisager un avenir partagé avec eux. Autre exemple, le collectif « La Colo » s’est constitué pour reconvertir une ancienne colonie de vacances en tiers-lieu. Il y a beaucoup d’idées reçues et de fausses croyances sur l’incapacité des gens à parler et à agir ensemble. Notre expérience d’élus déconstruit ce raisonnement-là.
Des objectifs à long terme
JR ⎜Quels sont vos objectifs environnementaux ?
GG ⎜J’aurais souhaité que l’île élabore un Plan local intercommunal, mais ce n’est pas souhaité par tous ses élus. Ce n’est pas grave et Dolus révise actuellement son document d’urbanisme pour y intégrer mieux les objectifs de la loi Littoral, les risques de submersion et de feu de forêt. Mais au-delà, nous recherchons surtout un habitat résilient et l’autonomie énergétique. Toutes nos actions doivent concourir à l’objectif international de limitation de l’élévation des températures à 2° C d’ici à la fin du siècle. Cela passe par la production d’énergie renouvelable, la rénovation du bâti, l’abandon des produits phytosanitaires - la commune possède le label Terre saine -, ou encore le développement de l’agriculture biologique - idem avec le label Territoire Bio Engagé - puisque l’alimentation pèse pour 30 % dans les émissions de gaz à effets de serre. Nous faisons partie des sept communes de la Région Nouvelle Aquitaine à avoir plus de 20 % de produits bio de saison à la cantine et plus de 8 % de surface agricole utile en bio.
JR ⎜Et en matière de mobilité ?
GG ⎜Nous héritons du passé. Nos villages sont des bourgs anciens qui ne sont pas faits pour deux voitures par ménage et cette situation entraîne des conflits d’usage et de l’encombrement - voire de confiscation - d’espace public. Plus largement, l’aménagement de l’espace insulaire a été décorrélé de celui des usages : on a permis à de nombreuses personnes d’habiter des endroits où ne peut exister d’espace pour le stationnement nécessaire. Lors des discussions sur le rétablissement du péage du pont d’Oléron nous aurions pu réfléchir aux nouvelles manières de se déplacer comme le vélo à hydrogène, l’autopartage ou encore les véhicules intelligents. La question devra forcément réapparaître un jour.
JR ⎜Cela change-t-il la gouvernance locale ?
GG ⎜Réfléchir à ces questions de fond dans un principe de co-construction remet en cause la relation habituelle de l’élu à ses administrés. Il y a des manières très intéressantes aujourd’hui de gérer la gouvernance et de valider démocratiquement la décision. Le rapport de pouvoir sur le « dernier kilomètre » sera certainement un des gros enjeux des élections municipales de 2020.
Si à l’école on apprend que le chemin le plus court entre deux points est la droite, la réalité nous montre que les écueils font dévier cette trajectoire initiale et toute mon attention d’élu consiste à réorienter sans cesse les projets pour atteindre leurs objectifs. Ces trajectoires de projet finissent toujours par décrire des sortes de spirale concentrique. Notre rôle est de réfléchir le plus largement possible à la manière dont les choses s’emboîtent entre elles et de rechercher une co-adhésion de tous les acteurs. Les théoriciens du bio-mimétisme l’ont très bien compris et analysé et au quotidien nous travaillons avec les personnels de la mairie pour retranscrire ce courant intellectuel dans le quotidien des administrés à travers la sphère politique locale.
Littoral 2070
JR ⎜Parlons maintenant de l’appel à idées « Imaginer le littoral de demain » lancé en 2016 par le ministère de l’écologie dont l’objectif était d’initier des réflexions stratégiques autour des phénomènes naturels et du changement climatique, sur le principe qu’il est urgent d’anticiper demain.
GG ⎜La commune a en effet répondu à Littoral 2070 et s’est inscrite comme territoire volontaire pour accueillir les étudiants du DSA de l’ENSAVT de Marne-la-Vallée. À la suite, sur la zone de La Rémigeasse, et avec l’aide du Cerema, nous avons identifié quatre cents résidences secondaires sur les six cents maisons présentes. L’intérêt principal des propriétaires reste la valeur immobilière actuelle et future de leurs biens menacés par la submersion. Or le nécessaire retrait de l’urbanisation va induire très certainement des achats ou des indemnisations. Cet enjeu économique renvoie pour moi à la question d’une fiscalité évolutive qui s’adapterait au territoire, à l’inverse de la Dotation générale de fonctionnement qui est uniquement calculée de manière statique à partir de la démographie communale. Ne pourrait-on pas imaginer une dotation locale de projet, adaptée aux environnements en évolution, qui serait davantage liée à une approche écosystémique ?
Un projet de territoire est vraiment un tout. C’est ce que nous avons vu avec l’étude effectuée dans le cadre de Littoral 2070. Le projet des étudiants a démontré que la déconstruction de la route longeant le rivage redonnait la place nécessaire au mouvement naturel de la dune. S’en suit toute une stratégie de réaménagement. L’étude du quartier de La Rémigeasse doit maintenant être poursuivie par le Cerema. Nous espérons fabriquer un algorithme territorial innovant, entre risque assuranciel, valeur de la transmission patrimoniale et fiscalité locale.
JR ⎜Comment ce projet prospectif a-t-il été perçu par la population ?
GG ⎜Le projet de territoire issu des réflexions de Littoral 2070 contribue désormais à l’élaboration de notre Plan d’urbanisme vertueux en matière de réduction des émissions de CO2, en accord avec les besoins sociaux et soucieux des risques naturels. Plusieurs séquences entre 2014 et 2020 ont été nécessaires et le seront pour y arriver. La première fut consacrée à l’information du public et des acteurs pour expliquer le chemin à parcourir. La seconde, en cours, est technique et retranscrit la commande politique en projet. Restera la mise en œuvre qui a déjà commencé dans de nombreux domaines.
Lors de la soirée publique « Quel avenir pour le littoral en 2070 ? », le projet des étudiants du DSA de Marne a été bien reçu par la population alors que ces questions semblaient taboues au début de notre mandat. C’est très encourageant et démontre que les transformations inéluctables de nos territoires littoraux peuvent être, si ce n’est souhaitable, accompagnée avec dialogue constructif et productif.
- Entretien réalisé le 17 juillet 2017 par Jean Richer (JR), Architecte des bâtiments de France, adjoint à l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de Charente Maritime.. ↩